Famille choisie

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Inspiré par la prestation de Voces Gaudii lors de notre récent concert, Various Voices Rising, Kit, membre de Sing Out, réfléchit à l’idée de famille choisie.

Where do I belong? Quelle est ma place ?

C’est par ces mots que débute la chanson Chosen Family de Rina Sawayama et Elton John. C’est une question que se posent de nombreuses personnes appartenant à notre communauté tout au long de leur vie. Nous grandissons souvent en nous sentant si différents des autres et en nous pliant en quatre pour essayer de nous intégrer, avant de découvrir peu à peu qui nous sommes et avant de travailler dur pour nous faire accepter. La suite de la chanson semble répondre à cette question.

Laissez-moi planter le décor. L’auditorium du CCU bourdonne d’impatience lorsque Voces Gaudii arrive sur scène. Various Voices Rising a débuté 30 minutes plus tôt avec DynamiQ Voices, qui nous a époustouflés par sa vibrante queerness, ses douces harmonies vocales et son audacieuse visibilité. Les chanteurs de DynamiQ entrent discrètement dans l’auditorium et prennent place derrière nous. Ce n’est pas un concert ordinaire !

Voces Gaudii est plus grand que DynamiQ Voices.  Ils sont expérimentés, confiants, détendus – une machine bien huilée. Leur set couvre un large éventail de musique, allant de la pop à la folk en anglais et en polonais. Des chansons rythmées avec des chorégraphies ou des mélodies délicates et sobres. Après quelques chansons, leur chef s’avance pour présenter les deux chansons suivantes – des morceaux, dit-il, qui les ont aidés à persévérer et à faire face aux bouleversements de la vie des personnes LGBTQI+ vivant en Pologne ces dernières années. L’une d’entre elles est Chosen Family.

Voces Gaudii interprète « Chosen Family »

Tell me your story and I’ll tell you mine

I’m all ears, take your time, we got all night

Raconte-moi ton histoire et je te raconterai la mienne

Je suis tout ouïe, prends ton temps, nous avons toute la nuit

Ils chantent ces mots doucement, en prenant soin de chaque note. Le tempo est lent, laissant le temps au public d’en comprendre le sens. Mes pensées me ramènent au week-end de reconnexion que Sing Out a organisé à l’automne. Des groupes de discussion où je me sentais en sécurité et où je savais qu’il n’y avait pas de jugement – je me souviens d’avoir partagé mes opinions spontanément et franchement, sans penser, pour une fois, à la façon dont je pourrais être perçu. Je me souviens d’avoir appris à mieux connaître les personnes à côté desquelles je chantais, d’avoir réalisé que nous partagions des expériences – ou, au contraire, que nos expériences ne pouvaient pas être plus différentes – mais que nous écoutions tous avec amitié et respect. Je me suis mis à penser à d’autres moments de connexion avec la chorale – partager un repas ou marcher les uns à côté des autres à Hastière, travailler ensemble au sein d’une Joy Team… Je pense que ces courts moments de connexion, de partage d’histoires, des moments où l’n apprend à se connaître, qu’ils soient organisés dans ce but ou non, constituent une grande partie de la vie de notre communauté.

Show me the rivers crossed, the mountains scaled

Show me who made you walk all the way here

Settle down, put your bags down

You’re alright now

Montre-moi les rivières traversées, les montagnes escaladées

Montre-moi qui t’a fait marcher jusqu’ici

Installe-toi, pose ton sac

Tu vas bien maintenant

Je me revois sur cette même scène il y a presque exactement un an, micro en main, avec le ténor C. à ma gauche et l’alto A. à ma droite. Je me souviens à quel point je me sentais vulnérable, ma voix tremblant alors que je racontais mon expérience de l’école secondaire en tant qu’ado homosexuel. Je me souviens que j’étais soulagé que les lumières de la scène soient suffisamment fortes pour cacher les visages du public. Mais je me souviens aussi du sentiment de ne pas être seul, d’affronter ma peur avec deux alliés à mes côtés et près de 60 autres juste derrière moi. Je me souviens d’avoir été pris au sérieux lorsque j’ai confié au ténor J. que j’étais inquiet à l’idée que mon histoire « n’était pas assez grave ou sérieuse » pour être partagée sur scène, et qu’il m’a écouté et rassuré, m’expliquant ce que mon histoire signifiait pour lui et m’aidant à voir la situation d’un autre point de vue..

We don’t need to be related to relate

We don’t need to share genes or a surname

You are, you are

My chosen, chosen family

Il n’est pas nécessaire d’avoir un lien de parenté pour être en relation.

Nous n’avons pas besoin de partager des gènes ou un nom de famille

Tu es ma famille choisie

Je pense à certains des membres de la chorale dont je suis le plus proche et je me rends compte à quel point nous sommes différents en apparence. Nous venons de pays différents et nous avons vécu des vies différentes. Nous avons des identités différentes en tant que personnes homosexuelles et en tant qu’individus. Nous vivons le monde différemment. Nous avons des opinions et des croyances différentes. Mais je chéris profondément leur amitié. Je réalise qu’ils sont mes frères, mes sœurs et mes adelphes. Pour la première fois, je commence à me sentir liée à l’idée d’une « famille choisie ».

So what if we don’t look the same?

We been going through the same thing

Yeah, you are, you are

My chosen, chosen family

Et quoi,  nous ne nous ressemblons pas ?

Nous avons pourtant vécu la même chose

Oui  tu es ma famille choisie

Je pense à d’autres membres de notre communauté. Ceux avec qui j’ai moins de points communs et à qui je ne parle pas aussi souvent. Nos vies semblent plus éloignées, peut-être à cause de l’âge, de l’origine ou du pupitre dans lequel nous chantons… Je pense à l’affection que je leur porte quand même, même si nous n’avons pas toujours la même opinion, ou si nous ne nous intéressons pas toujours aux mêmes choses. Je me rends compte que certains sont presque des parents, voire des grands-parents ! Ce sont ceux qui sont là pour répondre aux demandes de conseils que j’envoie via WhatsApp lorsque nous avons tendance, moi ou d’autres personnes, à nous replier sur nous-mêmes. Je me rends compte qu’il y a aussi des tantes et des oncles. Et des cousins – tellement de cousins !

Alors que je suis assis et que j’écoute ces mots puissants, avec le ténor C. à ma gauche et la soprano C. à ma droite, je suis soudain submergée par tout ce que je ressens envers ma communauté : amitié, attention, responsabilité, solidarité, amour… Et ce que je ressens de leur part : soutien, appui, validation, gratitude, acceptation inconditionnelle. Et je pense pouvoir parler au nom de tous les membres de Sing Out Brussels ! et de DynamiQ Voices, si ce n’est au nom de tout le public, en disant qu’il n’y avait pas un seul œil sec dans la salle.

Voces Gaudii a découvert la chanson en interagissant avec la chorale communautaire LGBT+ Pink Singers, basée à Londres, qui a récemment publié ce clip de la chanson.