Bonjour Simon. Tu es membre de Sing Out Brussels! et tu as écrit la chanson “In these heels”. Comment es-tu devenu auteur-compositeur ?
J’ai pense avoir écrit ma première chanson vers 8-9 ans. J’étais encore à l’école primaire et j’étais un grand fan de ABBA. Je me souviens que je voulais créer ces sonorités magiques qu’ils étaient capables d’inventer. Je me rappelle très bien de cette première chanson qui s’appelait Music Man. En fait, j’ai commencé par écrire les paroles et je pense que c’est la seule et unique fois que j’ai procédé de la sorte. Depuis lors, la musique me vient d’abord et elle m’évoque un sentiment que je veille à communiquer à travers les paroles. Au fil de ma vie adulte, j’ai toujours écrit des chansons ou des parties de chansons pendant mon temps libre mais comme beaucoup de gens, je n’ai jamais rien terminé. Finalement, alors que je vivais déjà en Belgique en 2013, j’ai découvert qu’il était possible de proposer des chansons pour la candidature belge à l’Eurovision. Quelque chose a changé et j’ai pu proposer deux chansons entières. Elles n’ont pas été sélectionnées mais d’une certaine manière, j’ai gagné un prix bien plus important – J’ai réalisé que j’étais maintenant à l’aise pour terminer des chansons, les enregistrer et permettre au gens de les écouter. Pendant une période de 4-5 ans, j’ai écrit environ 50 chansons, et parce que je travaillais de manière intensive, mon écriture devenait objectivement meilleure. C’est à cette époque que j’ai écrit “In these heels” et le sommet a été pour moi de remporter plusieurs concours de composition : “Sing Me Your Blues” a gagné le concours SongDoor aux Etats-Unis et “Still Not Sorry” le UK Songwriting Competition.
Quelle a été ton inspiration pour écrire « In these heels » ?
C’était pendant l’été 2016. J’étais en vacances en Espagne. Quelques mois plus tôt, il y avait eu ce massacre dans un club gay d’Orlando, avec un nombre terrifiant de victimes. Au-delà de l’énorme chagrin que j’ai ressenti, ce qui m’a le plus frappé, c’est que toutes les infos que je regardais minimisaient le fait que cette tuerie ait eu lieu dans un club gay et que c’était peut-être une des raisons pour lesquelles cet endroit avait été choisi par le tueur. Ceux qui ont malheureusement été victimes de ce massacre ont été décrits comme des fils et des filles de parents aimants, mais n’ont jamais été décrits comme des amis ou amants les uns des autres. J’ai été frappé de voir que l’homophobie qui avait inspiré le tueur était toujours présente dans le traitement de l’actualité. Cela m’a mis en colère. Dans ma vie, j’ai la chance d’avoir vu d’énormes progrès pour les droits de la communauté LGBTQI+, et je suis le premier à reconnaître qu’il reste du chemin à faire, mais j’étais quand même choqué de cet “hétéro-washing”. C’était presque comme si les médias ne voulaient pas admettre qu’il s’agissait d’un crime de haine homophobe, car alors eux aussi auraient pu être été pointés du doigt pour avoir encouragé les queerphobies dans le passé.
Quelle histoire voulais-tu raconter avec cette chanson?
Au fur et à mesure que la chanson prenait vie dans ma tête, ma colère ne cessait d’augmenter. Je me souviens que j’avais d’abord dans ma tête les premières lignes du refrain et que j’avais essayé de nombreuses phrases différentes. Un de mes amis, également musicien, m’a rendu visite et je me souviens d’avoir testé ces idées sur lui. Même s’il est lui-même un activiste queer, il était assez choqué. “On te sent très en colère”, m’a-t-il dit, avec une certaine inquiétude, comme s’il voulait s’assurer que j’allais bien. Mais oui, j’étais en colère et je voulais vraiment que cette chanson vienne du plus profond de mon cœur. Au fur et à mesure de l’écriture des couplets, la chanson est devenue une demande générale d’une plus grande solidarité dans la communauté queer. Je ne voulais pas seulement que les médias fassent leur examen de conscience, mais aussi questionner la queerphobie intériorisée dont j’avais ouvertement entendu parler dans la communauté gay bruxelloise. Les hommes gays en particulier ont appris à se protéger en évitant d’être associés aux bars gays ou à l’ensemble des expressions de genre et de sexualité qui existent dans notre communauté au sens large. En découvrant la Belgique, j’ai trouvé que le pays était très accueillant et je m’y suis senti à l’aise, mais j’ai aussi remarqué que beaucoup d’hommes gays voulaient passer inaperçus et se conformer à un modèle hétéronormatif. C’est totalement OK pour moi pour autant que cela ne se fasse pas au dépens de la visibilité des autres et du soutien à leur apporter. Malheureusement, je pense que ce n’est pas toujours le cas. Très souvent, j’ai voulu discuter avec des mecs sur des applications de rencontres et je me suis brutalement retrouvé bloqué après avoir dit que je fréquentais les bars gays ou que je soutenais les droits des personnes trans. Je ne reproche rien à ces gens – Ils sont les victimes de la société dans laquelle ils vivent – mais je voulais que la chanson éveille un peu leur conscience, pour qu’ils prennent le temps de s’asseoir et de réfléchir à une différente et meilleure manière d’agir. Tout le monde ne doit pas être un militant mais si chacun relève le défi de la lutte contre les queerphobies, à condition bien sûr de se sentir à l’aise pour le faire, nous vivrons tous mieux. Finalement c’est la chanson dont je suis le plus fier. Elle est venue du cœur.
Que penses-tu de l’arrangement écrit par Philippe Maniez pour Sing Out ?
C’était très étrange mais aussi très excitant pour moi d’entendre cette interprétation de la chanson. Cela m’a pris du temps pour m’y habituer car je connaissais bien la version originale. Il y avait deux difficultés supplémentaires : tout d’abord la chanson était assez difficile à apprendre et à retenir pour la chorale, et ensuite nous avons quasiment dû attendre le concert pour entendre la chanson complète, avec le solo. Je pense que c’est pour cela que je n’ai pas été le seul dans la chorale à avoir besoin de temps pour tomber amoureux de cet arrangement. Mais je dois dire que je le trouve formidable. C’est tellement important de faire grandir la musique de cette façon et il y a beaucoup plus de sincérité, d’ombre et de lumière dans cette version. C’est très très beau et je suis reconnaissant envers la chorale pour l’avoir fait arranger, et que la chanson ait une telle place dans le cœur des choristes. J’en suis très fier !
Pour beaucoup de choristes, la partie centrale « love any louder, can’t love any louder » est d’une très grande puissance émotionnelle. Est-ce aussi ton sentiment?
Oui ! C’est cette phrase qui a choqué mon ami mais elle représente exactement ce que je ressens. Je sens effectivement que je suis pleinement authentique avec les autres concernant ma sexualité. Et je suis aussi fier d’avoir travaillé dur depuis que je m’identifie comme gay pour comprendre les autres personnes de notre communauté et à l’extérieur qui font face à des préjugés, et de faire de mon mieux dans tous les cas pour éviter qu’elles soient lésées. C’est un appel à l’aide lancé par les autres membres de la communauté pour être visible et pour nous soutenir.
Sing Out a chanté la chanson pour la première fois en 2019 avec LaDiva Live. Cette fois, différents choristes chantent le solo. Est-ce que cela a du sens pour toi?
Pour moi, la chanson a vraiment trouvé sa place dans la chorale. Quand j’ai appris que les solistes viendraient de l’intérieur de la chorale, j’étais très heureux, et bien plus encore quand j’ai découvert que beaucoup de voix différentes allaient chanter. Cela permet à la chanson de parler d’une seule voix, mais avec des perspectives, des histoires et des expériences différentes, et c’est justement de cela dont la chanson parle.
As-tu quelque chose à ajouter ?
Au moment de répondre à cette interview, je n’ai encore entendu que de petites parties de l’enregistrement final mais je sais que cela va sonner magnifiquement et que j’aurai besoin d’un paquet de mouchoirs en l’écoutant. J’ai déjà commencé à travailler sur une nouvelle chanson pour la chorale, ”Let your heart be heard”, qui, si j’ai bien compris, sera interprétée par toutes les chorales participantes au festival “Various Voices” que nous allons fièrement accueillir à Bruxelles en 2026. Je suis déterminé à écrire une chanson plus joyeuse, mais pas moins sincère.